Giorgio De Chirico (1888-1978) la peinture métaphysique 

Hommage à Giorgio De Chirico

L’artiste italien Giorgio De Chirico, né en Grèce en 1888 et formé à l’Académie des beaux-arts de Munich est considéré comme l’un des plus grands peintres du XXème siècle. Profondément influencé par la pensée de Nietzsche et la peinture d’Arnold Böcklin, il pose à travers ses tableaux la question du visible. Cette peinture étrange  qualifiée de  « métaphysique » tente de représenter ce qu’il y a au-delà de l’apparence physique des choses.

Premières révélations

Lors d’un séjour à Florence en 1909, il reçoit sa première révélation qu’il exprime dans L’Enigme d’un après-midi d’automne « Par un clair après-midi d’automne j’étais assis sur un banc de la place Santa Croce à Florence(…). J’eus alors l’impression étrange que je voyais toutes ces choses pour la première fois et la composition de mon tableau me vint à l’esprit ». Le peintre élabore un nouveau vocabulaire pictural en transformant l’environnement réel en une composition énigmatique : les éléments du monde visible sont séparés par un mur qui laisse entrevoir un monde mystérieux suggéré par la présence de la voile d’une embarcation menant vers des rivages inconnus.

L’Énigme d’un après-midi d’automne, 1909-1910, huile sur toile, collection particulière. 

Paris : la peinture métaphysique

Arrivé à Paris en  1911, il participe avec son frère Alberto Savinio  à la vie artistique parisienne, découvrant Cézanne, Matisse et Picasso et en enrichissant considérablement son langage plastique. Son nouveau style s’exprime dès 1912 dans  Plaisirs du Poète imprégné d’une atmosphère mystérieuse : une vaste place vide bordée d’arcades, une ligne d’horizon haut perchée, un train qui passe,  un ciel d’un vert éclatant, des ombres accentuées et une silhouette solitaire plongée dans ses pensées.

La solitude des signes

La découverte de la poésie de Rimbaud l’incite à mettre en place des associations visuelles incongrues. Il développe alors une suite de compositions insolites d’objets hétéroclites (artichauts, fruits exotiques, canons..) qu’il désigne par la « solitude des signes ». L’ombre devient opaque, l’espace a cessé d’être, les corps ont cessé de vivre, nulle échappée ne semble possible tandis que les signes du voyage sont de plus en plus masqués derrière d’infinis murs de briques : Giorgio De Chirico crée alors un art profondément nouveau, fondé non pas sur l’apparence des objets, mais sur les significations potentielles et les associations d’idées que ces objets peuvent susciter.

L’incertitude du poète, 1913, huile sur toile, Tate Modern, Londres

Les ombres mystérieuses

Dans le Portrait de Guillaume Apollinaire de 1914,  l’ombre du poète apparaît de manière fantomatique à l’arrière plan du tableau. Les ombres dans les œuvres du peintre nous rappellent que la peinture est une construction : tout comme les arcades déployées dans un même espace selon différentes perspectives, elles semblent régies par des lois mystérieuses. Emergeant de nulle part envahissant une partie du tableau découpant des formes obscures, ces artifices jouent avec les règles classiques de la représentation et renforcent la puissance énigmatique de la composition. 

Portrait de Guillaume Apollinaire 1914 Huile et fusain sur toile, Centre Pompidou

La clairvoyance du poète 

Durant la guerre,  Giorgio De Chirico  mobilisé à Ferrare  fait  la connaissance des peintres Carlo Carrà et Giorgio Morandi. La petite ville italienne devient alors le laboratoire de « la peinture métaphysique » autour de ces trois personnalités artistiques. Chef-d’œuvre de cette  période, Le Vaticinateur (voyant), assis sur un billot de bois dont la forme cubique symbolise le monde matériel,  porte le  bandeau étoilé des prêtres d’anciens cultes initiatiques.  Il pourrait symboliser  la clairvoyance du poète et du peintre capable de déceler au-delà du réel la profonde vérité du monde en déchiffrant le passé, en interprétant le présent et prédisant l’avenir,  thématique chère à l’artiste.

Le Vaticinateur, hiver 1914-1915, huile sur toile, The Museum of Modern Art, New York.

Ferrare 1915- 1918 : la grande folie du monde

En 1917, réfugié dans un hôpital militaire, il dépeint dans ses tableaux les instruments de rééducation fonctionnelle, prothèses et  chaises pour électrochocs dans des mises en scènes glaçantes de mannequins, allusions à peine voilées aux mutilés de guerre. Il prête à ces automates, assemblages de plaques de métal et de rivets, des attitudes humaines en les opposant aux statues, formes suprême de spiritualité ( Le Revenant) . Ces mannequins qui  hantent dès 1914 ses scènes métaphysiques sont l’expression d’une incertitude face à l’absurdité de la condition humaine dans un monde en pleine industrialisation, dominé par le matérialisme et marqué par la guerre. « Nous disparaîtrons mais le mannequin restera » 

Le Revenant,  1917- 1918, huile sur toile, Centre Pompidou.

Une vision prémonitoire ?

Giorgio De Chirico fait du mystère et de la poésie les fondements de sa peinture métaphysique. Ses places désertes tachées d’ombres mystérieuses suggèrent  une atmosphère mélancolique et inquiétante. Les tableaux de Giorgio de Chirico sont atemporels et d’une modernité saisissante : ce monde étrange et déshumanisé imaginé il y a plus d’un siècle par cet  artiste visionnaire  entre étrangement en résonnance avec le monde actuel sidéré par la crise sanitaire mondiale . 

 L’Énigme d’un après-midi d’automne, 1909-1910, huile sur toile, collection  particulière
Paris, rue de Rivoli, 31 mars 2020.

 « Il y a bien plus d’énigmes dans l’ombre d’un homme qui marche au soleil que dans toutes les religions passées, présentes et futures », revendique le peintre

Article écrit spécialement pour Galaxy Art par Sandra Benoist-Chappot (conférencière).